INDE - HARYANA


Un article  écrit  à  deux,  en  forme  de  réflexions  sur  nos  six mois  en Inde  ! (on le case dans l'article sur L'Haryana car on y a passé la majeure partie de notre temps à ne pas pédaler !) 


L'Haryana c'est un mini état avec surtout Delhi et sa périphérie, donc des villes, des zones urbaines, des décharges... C'est aussi ça l'Inde et c'est pas dans cet état que l' on s'extasie sur les beaux paysages ! 

Alors on peut avoir  l'air  un  peu  énervés  parfois.. On écrit ici notre ressenti uniquement, sans chercher à être objectifs. L'Inde est  un  pays  qui  a  la  capacité  de  faire  sortir  de  ses gonds,  et  on  n'a  pas  échappé  à  la  règle...  À vélo surtout, les sensations sont décuplées. Il n'y a pas de vitres entre nous et le monde.


C'est  un  peu  le pays  des  montagnes  russes : dans  la  même journée  on  est révoltés,  excédés  puis  émerveillés  par  le  fonctionnement de  ce pays  hors  norme.  On maudit les  Indiens,  puis  on  les adore.  Et  comme ça  tous  les  jours.  Est-ce  que  du  coup  on a  hâte  de quitter  ce  pays  de  fous  pour  ne  plus  jamais  y remettre  les  pieds  ?  Que  nenni  !  On  n'a  pas  encore  quitté  le sol  indien  qu'on  a  déjà  prévu  l'itinéraire  de  notre  prochaine venue ! 


On vous  emmène dans ce qu'a été notre vie de tous  les jours  ici, les choses qui nous ont marquées, ou comment  on a fini  par  considérer  comme  normal tout  ce  qui  au  départ  surprend  quand  on  arrive  en  Inde.  À l'heure  du  départ,  on  essaie  de  faire  un  peu  le  point  sur tout  ça  ! (oui parce qu'on est pas tout à fait à jour sur nos articles...) 


L'Haryana : New Delhi et le peuple

Quand on arrive à Delhi, et à plus forte raison pour ceux qui ont le malheur d'aller loger à Paharganj, la première pensée qu'on peut avoir se résume à "où suis-je ?" ou "fuyez pauvres fous". Paharganj c'est le quartier des hôtels pas chers, donc des voyageurs sans le sou, et des petits rabatteurs et arnaqueurs de tout poils, mais aussi d'une vie indienne millénaire, où rien ne semble avoir évolué depuis des années, avec les chars à bœufs, les repasseurs à l'ancienne et les élevages à bestiaux dans les rues. On balance les eaux usées et les poubelles par la fenêtre. C'est plus crade que la moyenne des villes et des villages de toute l'Inde entière. Il y a un bruit permanent et une circulation infernale. Bref, on se demande encore comment des guides touristiques peuvent conseiller à de jeunes ingenus tout juste débarqués de leur avion d'aller loger là. Ou comment faire en sorte que les gens détestent Delhi.. Bon, nous on y a passé un bon moment, mais l'appât des chambres qui coûtent une bouchée de pain a eu raison de nous ! Et rester un moment à Delhi c'est aussi apprendre à l'aimer ! 


Old Delhi, c'est un lacis improbable de ruelles et de kilos de fils électriques emmêlés juste au dessus. Il y a du monde partout et ça sent pas bon. Il y a aussi beaucoup d'enfants des rues, livrés à eux-mêmes, ou sous la tutelle d'adultes pas forcément toujours bien intentionnés. Ces enfants mendient ou vendent des petits bibelots. Donner c'est encourager leur mendicité, mais ne pas donner brise le cœur. Où est-ce qu'ils dorment, comment est-ce qu'ils vivent, est-ce qu'ils ont le droit à une éducation...? De nombreuses associations travaillent dur pour améliorer leurs conditions. Et ce qui est sûr, c'est qu'on en voit beaucoup moins qu'il y a huit ans.. 


Et sinon, à quelques pâtés de maisons, il y a New Delhi : les beaux quartiers, aux grandes avenues vertes et propres. Il y a là des quartiers résidentiels, des centres commerciaux, des ambassades.. Les Indiens qui travaillent là sont presque transparents de déférence. Ils sont là pour ouvrir la porte, ou pour faire toute tâche qui implique que les indiens riches qui y habitent n'aient rien à faire par eux-mêmes. Aller dans les beaux quartiers de New Delhi permet de prendre conscience du fonctionnement d'une Inde à deux vitesses où les privilèges que peuvent avoir les riches sont aussi démesurés que le dépouillement et la misère dans laquelle vivent ceux dont la naissance ne donne droit à rien.


Le gouvernement a beau prendre quelques mesures à peine symboliques, il en ressort que les puissants n'ont aucune volonté de faire en sorte que les choses changent pour de bon. Le gouvernement actuellement au pouvoir depuis quatre ans en Inde martelle "Change India", mais peu de choses vont pour le moment en faveur des opprimés. Alors c'est vrai, il y a beaucoup à faire dans un pays en super développement économique, à la population grandissante, et en proie à beaucoup de défis, que ce soit sur le plan économique, écologique, sur la question de l'égalité entre les sexes, des droits de l'homme, du vivre ensemble religieux, de la santé, de l'éducation etc... Le gouvernement actuel est celui de Narendra Modi, à la tête d'un parti d'extrême droite, ultra nationaliste et fondamentaliste hindou. Les prochaines élections auront lieu dans un an, et on ne peut qu'espérer que "la plus grande démocratie du monde" ira dans le sens de la tolérance et de la solidarité.. 

Apologie de la surpopulation et du bordel général

On ne peut comprendre ce qu'est la réalité d'un pays surpeuplé qu'en y vivant. Et y vivre, c'est s'habituer à ce que tout déplacement ou toute action se fasse entouré de beaucoup d'autres individus, plus ou moins collés à vous. Il y a du monde tout le temps et partout. La plus insignifiante de tes actions sera observée par une quinzaine de personnes. Dans la rue, l'espace vital de chacun est restreint. Le trafic est très très intense et augmente au fur et à mesure de la journée. Il y a des gens, des bus, des camions, des voitures, des motos, des brouettes, des tuk tuk, des vélos rickshaws, des stands ambulants, des vaches, des buffles, des chèvres, des chiens errants, dans  tout  les  sens  et  à  toute  heure... Ce petit monde cohabite et navigue en circulant tout en évitant les autres. Ça passe au millimètre, mais sans jamais se toucher (ou presque !) 


Le résultat de cette masse de vies, de choses et de véhicules de toutes sortes c'est que chacun vit sa vie, sans trop se soucier des autres. Les enfants peuvent se lancer dans une partie de cricket en plein milieu de la rue, les motards les évitent. Untel va slalomer avec sa charrette au milieu des vaches et des stands ambulants. Un autre va garer sa voiture en plein milieu de la route pour téléphoner.. Le dernier va prier au milieu du couloir de son restaurant. C'est souvent le bordel, mais ça passe toujours. 


En fait ce bordel que l'on croit percevoir en tant qu'observateur étranger n'est qu'une apparence. C'est en réalité tout le contraire : la société indienne est incroyablement cadrée, ordonnée, réglée.. Chacun sait ce qu'il a à faire, selon sa place. Chacun fait ce qu'il a à faire, quoi qu'il se passe autour. Si dans un magasin il y a six employés assis à ne rien faire, ces six personnes ont chacune un rôle qui leur est bien propre et défini. Le problème c'est que l'on voit rarement quelqu'un prendre l'initiative de faire quelque chose qu'il n'est pas censé faire. 

Et les règlements, même absurdes, sont appliqués à la lettre, consignés dans de gros livres que les fonctionnaires consultent religieusement. 

Version indienne du "où est Charlie ?" mais avec Olivier (bon c'est facile, il fait une tête de plus que tout le monde)
Version indienne du "où est Charlie ?" mais avec Olivier (bon c'est facile, il fait une tête de plus que tout le monde)

De la communication

On est en permanence en (courtes)  intaractions avec les Indiens : en général c'est soit pour demander d'où on vient, soit pour ne rien demander d'autre qu'un selfie.. On a parfois été frustrés, et moins enclins à communiquer avec les indiens à cause de ça. Les interactions sont la plupart du temps très limitées. Ni bonjour, ni un mot, ni la moindre intention à communiquer, une question "one selfie please?" puis tout un groupe passe pour la session photo, les uns après les autres, une photo et puis s'en vont.. Aucun intérêt, aucun échange.. Au début on trouvait ça marrant, et puis de moins en moins. C'est quoi l'intérêt d'une photo à publier sur les réseaux sociaux, sans le moindre échange..


Dans un autre registre de communication qui ne va jamais jusqu'au bout, on a aussi le cas du "ok ok" en boucle. Souvent quand tu demandes ou racontes quelque chose à quelqu'un il te répond "ok ok" et il part avant que tu puisses finir ta phrase. Ça marche aussi pour "bonjour," "au revoir" ou "merci", la réponse est invariablement "ok ok ok"... Ou en hindi "tikka tikka". On croit que ça nous a un peu contaminé aussi, ne vous inquiétez pas trop si vous nous entendez en boucle "ok ok"... 


Et de la curiosité

On n'a jamais vu ça et ça nous a bien fait rire ! Tu vas aux toilettes, on te regarde faire. Tu regardes ton téléphone, quelqu'un vient derrière toi regarder ce que tu regardes. Tu ouvres la porte de ta chambre, des têtes curieuses se contortionnent pour voir ce qu'il y a dedans. Tu sors de ta chambre, on te demande où tu vas.. 

Les interrogatoires peuvent être assez poussés, l'intérêt c'est que tu n'as jamais à développer trop longtemps, on te répond déjà "ok ok" pour passer à la question suivante.. 

On a souvent lus que les indiens se comportaient comme des grands enfants et on est obligés d'être d'accord. Curieux de tout, mais jamais choqués de rien ! 

Cours d'informatique 2.0 sur machine bourdonnante.
Cours d'informatique 2.0 sur machine bourdonnante.

Du pur et de l'impur dans l'hindouisme

Un truc assez fondamental dans la pratique de l'hindouisme, c'est la notion de pureté. Certaines castes sont pures et d'autres impures. Les sécrétions du corps sont considérées comme impures : la salive, la sueur, l'urine.. Se retenir de pisser est absolument impur, il faut mettre l'urine hors du corps. Alors un hindou va plutôt uriner dans la rue, tant que ce n'est pas en dedans ça va.. (il y a de plus en plus d'urinoirs publics, un peu partout dans les villes et une grosse campagne gouvernementale pour que les gens les utilisent). De la même façon, les hindous vont se purifier en permanence des sécrétions de leur corps, en procédant à des ablutions ou en s'immergeant plusieurs fois par jour. On nous a plusieurs fois fait la réflexion que les occidentaux ne sont pas propres, car ils ne se lavent qu'une fois toutes les 24 heures. On préférait ne pas imaginer ce qu'on pensait de nous, sales, poussiéreux et transpirants sur nos vélos... 


Certaines habitudes sont également impures comme manger de la viande. Ou encore toucher quelque chose avec la bouche, que ce soit un stylo ou le bord d'un verre car cela mettra l'objet en contact avec la salive. D'où l'habitude de boire à la rasade. Recevoir ou tendre un objet de la main gauche ou manger avec cette main est aussi à proscrire car c'est la main réservée à la toilette (ce n'est pas propre à l'hindouisme d'ailleurs, ça fait presque un an qu'on s'entraîne à ne pas utiliser notre main gauche !) 


Cette notion du pur et de l'impur se retrouve jusque dans le choix du vocabulaire, "fully", "100 %", "pure" sont des termes qui reviennent très souvent, et dans des situations très variées. 

Offrande en billets de dix roupies
Offrande en billets de dix roupies

De la bouffe !!

Beaucoup d'options bouffe en  général, tout le temps, partout. La bouffe indienne va nous manquer ! On a oublié que ça pouvait être compliqué de manger végétarien... La variété est incroyable ! Le coup de gueule d'Olivier : on  pousse  un  peu  le bouchon  trop loin, avec  un  petite  tendance  à  tout  manger  à  la  mode masala.  Cacahuètes, chips... 

De la chaleur !!

La chaleur, alliée à une pollution  galopante (avec ses petites pattes  sales) et grandissante est peut-être  LA chose  la  plus  pénible en Inde.  Encore  plus  pénible  que  la densité  du  trafic dans  les  rues  pour  vous  donner  une idée  de  l'intensité  !  Surtout  à  quelques  semaines  de  la mousson,  la  chaleur  écrasante  de  45  à  50  degrés rend  toute tentative  de  mouvement extrement  coûteux en  énergie  et en  eau !  D'autant  qu'il  n'y  a  pas  un  pet de  vent  pour ventiler  tout  ça  !  La poussière et les particules en suspension dans l'air flottent dans tout l'Haryana, rendant l'air irrespirable. Dès qu'on  en a l'occasion et lorsque le  courant n'est pas coupé, on se  réfugie sous un ventilateur ou une clim (mais on souffre). Même  les  Indiens  semblent  avoir  du  mal  à supporter la chaleur. Ça nous rassure sur le fait qu'on n'est pas QUE des petits blancs becs à la constitution fragile.. Vu dans une pharmacie : on tend au caissier en chef un billet de 500 roupies, il s'éponge le front avec, avant de le ranger dans la caisse... 

Et de la pollution...

Ce n'est malheureusement un scoop pour personne. L'Inde est un pays très pollué, que ce soit dans l'air, dans les fleuves, ou sur les bords des routes où des montagnes de plastique s'accumulent... Tout va très vite en Inde : révolution agricole imposée en une décennie (avec les conséquences de pesticides et de déplacements de petits agriculteurs que cela implique), urbanisation galopante, arrivée en masse de multinationales et de produits industriels merdiques de toute sorte.. De grands changements, faits sans transition et dont les conséquences sont lourdes. L'Inde est face à un défi écologique de grande ampleur. Un programme national "Clean India" a été lancé, de nombreuses entreprises de traitement et recyclage des déchets voient le jour et les indiens sont très conscients des problèmes de pollution (sans encore adapter leur comportement.... comme à peu près dans la majorité des pays du monde.) 

Le long des routes.. Et le matin ça crame..
Le long des routes.. Et le matin ça crame..
Une petite partie d'explication du problème.. Tout est emballé dans du plastique, et en sachets unidoses...
Une petite partie d'explication du problème.. Tout est emballé dans du plastique, et en sachets unidoses...

De la diversité et du vivre ensemble

On ne s'avance pas trop en disant que l'Inde est le pays le plus hétéroclite, multiculturel et varié qui existe sur terre. Hindouisme, islam, sikkhisme, jainisme, christianisme, bouddhisme.. Cela fait des siècles que différentes religions cohabitent dans les mêmes régions, les mêmes quartiers... Les mosquées sont construites à côté des temples ou des églises et la tolérance entre cultes est majoritairement remarquable. 


Pourtant, comme partout l'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse et on ne peut pas ne pas parler des tensions entre hindous et musulmans, qui existent depuis des années (et le gouvernement actuel n'aide pas...) Je ne sais pas si ces Infos sont relayées dans les médias occidentaux, mais les musulmans sont assez discriminés par le gouvernement hindou actuellement au pouvoir. Lors des épisodes de tensions entre hindous et musulmans, ces derniers sont souvent pointés du doigt et plus sévèrement punis que leurs homologues hindous. Un sordide fait divers a particulièrement secoué l'opinion publique en Inde lors de notre présence. Une fillette musulmanne a été séquestrée, violée puis tuée par des radicaux hindous dans le nord de l'Inde. Le gouvernement a d'abord "étouffé l'affaire" (quatre des huit coupables sont des policiers) : pas de couverture médiatique et punition quasiment inexistante des coupables, manifestations de la communauté musulmanne puis manifestations de fondamentalistes hindous... Ce crime a été suivi par une deuxième affaire de viol, impliquant un élu du BJP, le parti au pouvoir. Aujourd'hui l'opposition et de nombreux indiens dénoncent le silence gênant que garde Narendra Modi dans ce contexte explosif... 


Le sujet est assez complexe et trop long pour que j'en parle plus longtemps ici. Les prochaines élections seront fondamentales dans l'avenir de l'Inde. Au jour le jour, nous avons vu des gens tolérants et ouverts, habitués à vivre ensemble et considérant que la diversité de culture est une force. Nous le croyons aussi. 


Les cultures et traditions indiennes sont riches, vivantes et uniques. D'une région à l'autre, tout est tellement différent ! Tout ça nous a amené à dire pendant six mois que l'Inde est un monde dans un pays, et qu'une vie ne suffirait pas pour découvrir et comprendre Mother India ! 

La fin !

On n'était pas sûrs de rester six mois ici, on repart en se disant que ces six mois sont passés trop vite ! L'Inde souffre d'une mauvaise réputation pour voyager à vélo, et quand on nous lit expliquer en huit paragraphes toutes les raisons qui nous font péter un câble on est tentés de croire que cette réputation est justifiée ! Vous allez avoir du mal à nous croire, mais ça fait partie du plaisir ! On ne s'ennuie jamais ici... 


Et ce qui fait de l'Inde un pays fascinant est bien au delà ! "India is magic, India is tragic", l'Inde est un pays de contrastes, de différences, un pays hors norme. On sera de retour, à n'en pas douter !


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